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Prospective : les nouveaux défis de la Supply Chain
en 2030

Ces 40 dernières années ont connu des transformations majeures dans le monde de la Supply Chain. De simples et linéaires, facilement représentables, plutôt courtes, elles se sont transformées en de vastes réseaux complexes de plus en plus difficiles à maîtriser parfaitement. Ces modifications prennent leur origine dans l’obligation pour les entreprises de s’adapter à un monde VUCA. Utilisé pour la première fois en 1987, VUCA est l’acronyme de Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity (volatile, incertain, complexe et ambigu). Et quel autre acronyme que celui-là pourrait décrire le monde dans lequel nous vivons. Ce changement de paradigme a transformé la demande, le risque, la complexité. L’adaptation est devenue la clef du succès et d’une performance durable. Loin d’être révolue, cette transformation s’accélère créant tous les jours des nouveaux challenges en Supply Chain : comment répondre encore plus vite à mes clients ? Quelles possibilités pour contrer un concurrent apparu en quelques mois et qui disrupte le marché ? Comment assurer des prévisions assez pertinentes pour permettre à mon système de fonctionner ? Comment rajouter toujours plus d’options et de complexité sans entamer ma performance ? Comment sécuriser mes sources d’approvisionnement ?

3 défis majeurs

Si ces défis sont d’actualité, il est toujours utile de prendre une longueur d’avance. Pour cela, il est nécessaire de se demander : quels seront les défis de la Supply Chain en 2030 ? La question appelle à une pléthore de réponses. Nous retiendrons et développerons 3 domaines majeurs qui se détachent par leur importance et leur impact :

  • L’intégration de nouvelles technologies, au premier plan desquelles se trouve l’Intelligence Artificielle ;
  • L’amplification des menaces et contraintes géopolitiques ou sanitaires avec l’apparition majeure d’un nouveau dogme : la gestion de la pénurie ;
  • La transformation « verte » des Supply Chain, bien au-delà des effets d’annonce et du green washing actuel.

Nouvelles technologies

Ces dernières années ont été riches en innovation dans le domaine de la Supply Chain. Robotique, IoT (internet des objets), RFID (identification par radio-fréquence), Big Data, impression 3D, réalité augmentée. Toutes ces innovations ont été regroupées dans un terme : industrie 4.0. Evidemment, la maturité de chaque technologie diffère, mais de plus en plus d’exemples existent. Ainsi, il n’est pas rare de voir des entrepôts agités par des dizaines de robots en mouvement permanent dans une danse hypnotique, des gestionnaires de tournées intégrant d’un clic des points à ramasser en utilisant les données quasiment en temps réel de milliers de capteurs, des équipes de maintenance révisant leur plan de maintenance préventive grâce aux analyses faites sur des centaines de milliers de données jusqu’alors inexploitables.

Tout n’est pas rose, évidemment, et l’aspect cosmétique et marketing joue parfois un rôle prépondérant. On peut citer des exemples de mécanisations magnifiques mais sans retour sur investissement et créant de nouveau goulots d’étranglement limitant le développement de toute l’entreprise. Mais se concentrer uniquement sur la partie négative ne serait pas juste par rapport aux leviers immenses qu’offrent les nouvelles technologies.

Les Supply Chain ont commencé à se transformer pour intégrer ces technologies. Le mouvement va continuer de s’accélérer, d’autant que la maturité et le coût de revient des innovations s’améliore très rapidement. Un des exemples les plus frappants reste l’impression 3D qui voit son prix baisser drastiquement au fur et à mesure des années. Cette baisse de prix permet d’imaginer de nouvelles applications. Cantonnée au prototypage il y a quelques années, le marché des pièces de rechange s’ouvre en grand, un marché de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Pour le moment, le surcoût lié à l’impression 3D se justifie par une flexibilité et des délais de livraison très court, les gains se faisant sur le fait d’éviter ruptures et pénalités associées. On peut imaginer que les coûts continuant à baisser, un gain pourra être fait sur la simple possession de stock, la flexibilité permettant de réduire drastiquement le niveau de stock et par conséquent son poids financier et physique pour l’entreprise. Un autre marché s’ouvrirait, un marché qui viendrait faire voler en éclat des Supply Chain bien installées du fournisseur jusqu’au client en passant par le transporteur et le distributeur !

L’IA (Intelligence Artificielle) est également un levier majeur de transformation. En effet, il n’est pas difficile de conceptualiser que quand les programmes seront prêts à être appliqués sur des cas concrets à grande échelle, l’impact sera majeur. Des IA de prévisions permettront d’atteindre des niveaux d’exactitude pour le moment impossible à imaginer, ce qui permettra des gains et donnera des leviers d’amélioration sur l’ensemble de la chaîne de valeur… et changera drastiquement le métier de prévisionniste. En allant plus loin, on pourra imaginer que des informations prédictives soient calculées par l’IA et puissent recommander :

  • Le meilleur moment pour lancer un produit ou un service ;
  • Le type de promotion à réaliser ;
  • Une optimisation des assortiments des stocks dans la chaîne logistique.

Une IA attentive à des signaux faibles, jusqu’alors imperceptibles, n’aura pas de problèmes à pointer du doigt la nécessité de renforcer les contrôles de production d’une usine, pour éviter une panne où un défaut. Pourquoi continuer d’avoir des gestionnaires de stock si une machine peut le faire mieux et plus rapidement ? Evidemment, cela ressemble à de la Science-Fiction pour le moment, mais quand la technologie sera mature, la transformation sera drastique, y compris dans l’organisation même des services et dans la façon de concevoir et de réaliser les métiers pour le moment essentiels de la Supply Chain.

Géopolitique, crise sanitaire et pénuries

Il n’y a encore pas si longtemps, avant que le monde ne soit VUCA, les Supply Chain étaient courtes, simples et peu globalisées. La mondialisation et l’ouverture des échanges a eu des effets bénéfiques indiscutables et a contribué à tisser une toile mondiale, impossible à détricoter, où chaque nœud à un impact sur l’ensemble des nœuds à qui il est connecté. On imaginait le mouvement sans fin, le libre-échange devenant une règle évidente. On a eu bien tort : le mouvement marque le pas. Sans parler d’arrêt complet, il faut reconnaître que de plus en plus de signaux viennent compromettre cette vision : guerre commerciale, Brexit, crises sanitaires bloquant les échanges, volonté des peuples à retrouver leur souveraineté et donc leur industrie, tout cela risque de créer des effets de rappel important. Mais comment s’en sortir quand la Supply Chain est mondiale et que des pans entiers d’industries ne sont plus présents que dans des endroits très ciblés ?

L’exemple récent du Coronavirus montre bien à quel point l’interdépendance rend très sensible à tout impact géopolitique les Supply Chain. Automobile, textile, électroménager, les arrêts d’approvisionnement venus de Chine mettent à mal des pans entiers de l’industrie. Car si la production requiert des composants, alors le manque d’un seul rend impossible tout fonctionnement. Ainsi, une usine d’aspirateurs peut s’arrêter si son moteur n’est plus approvisionné.

Une autre source d’inquiétude à ce niveau-là est d’ordre écologique. Sans rentrer dans l’obligation que les Supply Chain vont avoir à se transformer, ce que nous commenterons après, le réchauffement climatique et la montée des eaux, rendant des parties entières de la planète inhabitables, au moins quelques mois dans l’année, l’atteinte des pics de ressources (des ressources dont la quantité produite chaque année ne pourra plus augmenter voire diminuera) va entraîner une nouveauté dans les Supply Chain : la gestion de la pénurie. Gérer les pénuries est très complexe. On le fait parfois en fin de chaîne, au niveau de son client, que ce soit pour des raisons de capacité de production ou des raisons de marketing (ou de contrôle des prix du marché). En revanche, peu d’entreprises sont capables de gérer des pénuries d’intensités variables arrivant de manière aléatoire à tout endroit de la chaîne. Comment gérer cela sans tout gripper ?

La technique la plus efficiente est une distribution douce et équilibrée permettant à chaque nœud de continuer à fonctionner, même de manière plus lente. La pénurie est alors pilotée. Mais la réalité a tendance à faire tirer la couverture à soi. Prenons l’analogie des supermarchés pris d’assaut avant les catastrophes climatiques. Un rationnement serait le plus efficient sur le papier, mais dans les faits, la peur de manquer et que le voisin prenne tout entraîne un effet incroyable : une anarchie quasi-complète faisant que chacun tente de stocker pour tenir bien plus que ce qu’il en a besoin, tout en se plaignant que son voisin a trop pris. Si les Supply Chain ne se transforment pas, ces mécanismes se produiront : les filiales de chaque pays gonfleront leurs prévisions dans l’espoir de récupérer un peu plus, les approvisionneurs passeront plus de commandes dans le même objectif. La variabilité engendrée par ces à-coups violents, créant des signaux de demande faux, grippera significativement les chaînes.

Mettre en place des systèmes capables de gérer efficacement les pénuries et de ne pas être sensible à ces effets de coups de fouet typiques des pénuries devient alors un sujet majeur qui devrait être piloté par des instances de très haut niveau dans les Etats. Sans cela, les premières pénuries causeront des défaillances majeures sur l’économie et une défiance du système.

Green Supply Chain

Si la gestion de la pénurie est le traitement du symptôme, la transformation verte des Supply Chain aide au traitement de la cause. Beaucoup d’actions ont été lancées, mais il est vrai que les personnes critiques dénonçant du « Green-washing » (actions cosmétiques pour se donner une bonne conscience écologique) ont certainement en partie raison. Pour avoir un impact écologique réel, la transformation doit être majeure.

Cette transformation sera portée par 3 contraintes. La première sera une série d’obligations légales obligeant les entreprises à réduire leur empreinte carbone. La seconde, une obligation liée aux pénuries, dont nous avons parlé plus haut, qui demandera l’obtention d’autres sources d’approvisionnement, voire la transformation des produits eux-mêmes. Enfin, la troisième sera la pression des consommateurs, de plus en plus informés et responsables dans leurs habitudes de consommation.

Il faudra pour cela se montrer innovant. Des modèles de Supply Chain non traditionnels se développent, notamment dans la distribution. Le retour des usines en Europe va contribuer à limiter l’impact carbone. L’impression 3D peut, donc certains cas, permettre de réduire les émissions liées au transport. Aucune de ces solutions n’est suffisante, mais la conjonction tout azimut d’un grand nombre de solutions peut faire la différence… et sera un challenge à intégrer dans les modèles et les réseaux des Supply Chain.

Vers un monde super VUCA ?

Ceux qui espéraient (y en avait-il seulement ?) que les tensions et les complexités des Supply Chain diminuent vont être déçus : la lame de fond qui transforme le monde continue à le complexifier. Des innovations disruptant sans cesse les marchés, des risques géopolitiques grandissants, des enjeux écologiques primordiaux pour l’avenir de la planète, tout cela dans un monde toujours plus VUCA, tels sont les défis que devront relever les Supply Chain de demain.

Loin de devoir se décourager, il est nécessaire de se préparer dès à présent pour ne pas se laisser surprendre. Une chose est sûre, la Supply Chain, qui reste pour l’instant un domaine d’expert, loin des préoccupations concrètes du grand public va apparaître plus clairement sur le devant de la scène, sous le feu des projecteurs. A ce moment-là, entre pédagogie et action concrète, la Supply Chain se révèlera comme un rouage primordial du bon fonctionnement de sociétés en pleine transformation. Devant l’ampleur des challenges qui nous attendent, est-il seulement possible de rester immobile ?

Laurent PENARD, Président et Jérôme PACAUD, Manager, groupe Citwell.

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