Industrie de projets plutôt que de prototypes, le secteur de la construction est l’un des derniers secteurs majeurs à ne pas avoir encore achevé sa révolution industrielle. Bien qu’il ait entamé cette transformation, une composante essentielle reste embryonnaire voire absente : la Supply Chain. Véritable maillon central, peu présent aujourd’hui dans l’organisation des chantiers, la Supply Chain est pourtant fondamentale pour orchestrer l’important effort de synchronisation des flux, physiques autant que d’informations, nécessaire à la réalisation des projets que sont l’étude et la construction d’ouvrages simples ou complexes.
Pourquoi la Supply Chain deviendra-t-elle la pierre angulaire de l’industrialisation de ce secteur ?
1) Un secteur en pleine mutation qui a tout à gagner à structurer sa Supply Chain
Des évolutions récentes multiples dans l’environnement du secteur de la construction constituent à la fois des contraintes et des opportunités de transformation et de développement :
Des exigences accrues en matière environnementale et d’organisation spatiale
- Les contraintes environnementales (exigence de transports à faible émissions carbonées, réduction des trajets routiers, demande de recyclage accru des déchets) ou d’organisation spatiale (réduction des nuisances aux riverains, sur le trafic routier) sont de plus en plus prises en compte par les maîtrises d’ouvrage ou les aménageurs. Cela les amène à exiger de la part des constructeurs une organisation logistique structurée et régulée (exemple du schéma logistique du Grand Paris pour les JO 2024).
Des prestataires et des nouveaux services dédiés au BTP émergent
- Des prestataires logistiques historiquement présents sur l’externalisation des activités de transport, d’entreposage ou de préparation pour d’autres secteurs industriels, créent et proposent des offres dédiées au secteur de la construction, en y intégrant des spécificités comme la sécurisation des chantiers.
- Les industriels et les négociants du secteurs travaillent sur des services logistiques différenciants (organisation de tournées, stocks déportés, colisages etc.)
Une forte dynamique d’industrialisation soutenue par une révolution digitale
- Initiée autour du BIM – plateforme numérique de conception collaborative – la digitalisation du secteur avance fortement, tirée entre autres par la digitalisation des documents de chantiers et de la gestion de la qualité (gestion des réserves).
- Les leaders du secteur s’associent aux acteurs de l’économie numérique (Bouygues Construction et Dassault Système), ou participent à des programmes européens d’envergure (Vinci et le SUCCESS consortium).
Un foisonnement de plateformes digitales opérées par des start-ups innovantes
- L’industrialisation du secteur de la construction induit des besoins de système d’information importants (gestion des plannings, des livraisons, des réserves…etc.).
- Une grande partie de l’offre est portée en mode SAAS par de jeunes start-ups, dont l’agilité permet l’adaptation rapide aux besoins émergents.
Le secteur du BTP évolue ainsi dans un écosystème porteur et favorable qui lui offre de nouvelles opportunités, à saisir pour réussir son industrialisation.
2) Des non-qualités et des coûts non maîtrisés, induits par l’absence d’organisation structurée de la logistique de chantier
L’organisation actuelle de la logistique sur les chantiers se caractérise à la fois par une absence de mutualisation et de régulation des flux de matériaux, ainsi que par une désynchronisation du planning et des flux d’informations nécessaires au pilotage et à la réalisation.
Qui plus est, cette organisation ne remplit pas l’ensemble des attendus de l’Assurance Maladie sur le transport de charges et les déplacements des personnels et ces incidences économiques sont importantes.
L’analyse des coûts d’approvisionnement d’un chantier fait ainsi apparaître un foisonnement de Non-Valeur Ajoutées (NVA).
- Livraisons en avance ou imprévues, camions en partie vides, attentes et recherches de composants, reprises de charge et manutentions inutiles, évacuation des emballages et déchets, conditionnements logistiques non étudiés, non spécifiés en amont et donc inadaptés, manque de visibilité sur les stocks et approvisionnements entrainant des commandes superflues… sont autant de coûts indirects cachés et pertes non maitrisées.
- En l’absence de moyens prévus, la manutention manuelle reste l’unique moyen d’acheminer les composants à pied d’œuvre. Cette manutention peut représenter jusqu’à 17% du temps, contre 2,5% dans le cadre d’une logistique mécanisée et mutualisée.
Les pertes représentées par ces Non-Valeurs-Ajoutées peuvent représenter entre 5 et 10% du coût des travaux.
Le service logistique assuré par chacune des entreprises intervenantes a ainsi un coût élevé lorsqu’il recourt majoritairement à la manutention manuelle. Il ne permet, par ailleurs, ni de garantir le rythme de production, ni de sécuriser les engagements client.
3) Des gains considérables sur tous les tableaux
Les enjeux et les bénéfices d’une réelle structuration de la Supply Chain des chantiers sont donc multiples :
- Les Délais – Réduction de la durée des chantiers & des pénalités de retard, réalisation de marges supplémentaires (libération des équipes pour d’autres projets)
- La Qualité – Réduction des réserves et du retravail, des urgences et des coûts imprévus
- La Sécurité – Réduction des accidents et à long terme des maladies professionnelles
- La Productivité et Valeur ajoutée – Libération de la main d’œuvre qui réalisait l’approvisionnement par manutention manuelle, diminution de la fatigue, non interruption du travail, utilisation d’aide technique
- Les Achats – Réduction des coûts matériaux (massification sur standardisation des achats), et des coûts transport
- La Gestion des stocks – Réduction des surconsommations, pertes, dégradations et vols, grâce à la régulation des flux et le stockage sur plateforme
- La Gestion des déchets – Maitrise des flux, diminution des quantités de déchets et des coûts de traitement (tri et recyclage)
- L’image – Diminution des nuisances pour les riverains, image renvoyée au client de maîtrise et d’organisation du chantier, contribution à une relation de confiance
4) Notre vision chez Citwell pour développer la Supply Chain des chantiers
En conclusion, 8 éléments principaux nous paraissent indispensables à mettre en œuvre pour développer une Supply Chain de chantier efficace et performante :
- Le pilotage du rythme de production par un planning micro séquencé & micro zoné
- Une étude logistique du chantier en amont des travaux (préparation)
- Des flux chantier régulés & une organisation mutualisée et mécanisée des déplacements horizontaux et verticaux
- Des outils de dimensionnement et des systèmes d’information adaptés
- La mutualisation des moyens logistiques, par exemple par l’utilisation de plateformes logistiques, qui peuvent aller jusqu’à être mutualisées entre plusieurs chantiers sur une zone géographique
- Pour les entreprises générales, la question se pose sur la part propre, l’achat-pose ou la favorisation de la structuration des sous-traitants
- La définition claire du partage des gains sur la chaîne de valeur entre tous les intervenants
- La standardisation, conception / fabrication hors site, associés à une vision coût globale
Au cœur de l’effort d’industrialisation du secteur de la construction, la Supply Chain jouera sans aucun doute un rôle essentiel pour assurer le rythme de production, sécuriser l’exécution des délais et les engagements clients.
Reste à savoir qui parmi les nombreux acteurs du domaine (aménageurs, maîtrise d’ouvrage, entreprise générale, logisticiens, fournisseurs…), sera le pionnier capable d’orchestrer et de mettre en marche cette transformation.
Raphaëlla Teboul, Consultante Senior et Philippe Fostan, Manager, Groupe Citwell