Nombreux sont les articles – comparatifs, allégoriques, parfois même pseudo-philosophiques – publiés afin de statuer sur ce qu’est réellement « le Lean », mais aussi et surtout sur les rapports entretenus par cette démarche d’amélioration continue avec l’Homme.
Un sempiternel débat que nous pourrions résumer par « Lean Management : exploitation de l’Homme par l’Homme, ou épanouissement social dans l’entreprise ? »
Nous éviterons ici de tomber dans ce manichéisme. Nous reviendrons aux principes et fondements même de cette méthodologie qui a fait le succès du groupe Toyota, et qui continue de se répandre dans l’industrie, dans les services ou encore les administrations. Le Lean consiste en effet avant tout à ne pas considérer l’Homme comme un simple « outil », mais comme LE vecteur de changement à maîtriser si l’on souhaite faire REELLEMENT évoluer une organisation, et ce, en profondeur.
En résumé, rien ne se fait si les Hommes ne sont pas mis à contribution.
Pourquoi le Lean ? Dans quel contexte est-il mis en place ?
La mise en place d’une démarche Lean résulte généralement de la volonté d’une direction générale à améliorer la performance de son organisation, et cela, à tous les niveaux : un site de production, un ensemble de sites, un îlot ou atelier en particulier, ou même d’un processus, etc…
Cela implique de faire table rase, autant que faire se peut, des (mauvaises) habitudes afin de repenser et adapter au mieux la structure de l’organisation à son environnement.
Une démarche Lean a comme objectif premier la satisfaction des clients, des actionnaires et des salariés de l’entreprise, et ce, indépendamment du contexte macro-économique dans lequel elle se trouve. En période de crise, la mise en place du Lean peut générer des gains de productivité ou des réductions de coûts salvateurs pour sortir l’organisation de ses difficultés.
En période de prospérité économique, la démarche lui permet de creuser son écart avec la concurrence et de tendre vers l’exemplarité sur des problématiques de gestion de la maintenance, de la sécurité, de la qualité, du respect des délais, etc…
Le rôle de l’Homme dans ce contexte :
On l’a dit précédemment, la mise en place du Lean ne peut se faire qu’avec le concours des Hommes. Mais il n’est pas rare de voir associés « Lean » et « dégraissage abusif » (effectifs, processus, équipements…) puisqu’un des fondements de cette méthodologie consiste en la réduction, voire suppression, des gaspillages.
Cette mauvaise presse n’est cependant qu’un raccourci malheureux. Les techniques du Lean n’ont pas pour vocation de faire subir à l’organisation (et a fortiori aux Hommes qui la composent), un délestage global. L’objectif est plutôt de permettre à cette organisation de se concentrer sur ce qui fait réellement sens : développer son activité en se focalisant sur des processus cohérents, des équipements productifs et des ressources adaptées, tout en évitant de jouer sur la variable « effectifs » et en réduisant dans la mesure du possible la pénibilité du travail de ces personnes.
Lorsque l’on souhaite déployer les techniques du Lean, il faut être convaincu que le progrès, le changement et l’évolution d’une organisation sont avant tout la résultante d’actions menées par l’Homme, et que c’est seulement dans le partage que l’entreprise pourra progresser.
Finalement, l’Homme n’est qu’un « mal nécessaire » : rien ne se fait sans les Hommes, et tout se fait pour eux. Il faudra en effet toujours un Homme pour concevoir et faire fonctionner les machines les plus sophistiquées, fabriquer des produits toujours plus innovants, vendre et acheter des biens…
L’homme, un mal nécessaire ; autant que des machines « trop sophistiquées » peuvent elles-mêmes être un fardeau lorsqu’elles vont à l’encontre de la flexibilité du système de production. Il semble ainsi plus judicieux d’exploiter au mieux la matière grise, le talent, et l’intelligence de ces hommes d’entreprises plutôt que de ne les considérer que comme un simple moyen de production.
« People don’t go to Toyota to work ; they go there to think » (Les salariés ne vont pas chez Toyota pour travailler, ils y vont pour penser). Tel le qualifiait Taiichi Ohno, le père du Toyota Production System.
Cette citation résume bien le passage d’une vision classique qui consiste à considérer l’homme comme le prolongement des outils de production (sujet à subir la routine et les affres des cadences élevées), à celle de l’homme à la base de l’évolution de ses propres modes opératoires, procédures et de l’organisation de son environnement de travail.
Par cette appropriation, l’objectif étant de garantir le déploiement et la pérennité des démarches d’amélioration continue mises en place avec, par et pour l’Homme.
Comment impliquer l’Homme ?
Son implication ne peut se faire que par l’évolution des modes de management en s’assurant de la capacité de l’organisation à passer d’un mode de management directif à un management participatif, voire à la délégation.
Ce sont en effet les Hommes de terrain (« ceux qui font ») qui savent ce qui se passe réellement, et qui sont les premiers à pouvoir faire remonter des solutions et des idées d’amélioration en vue de faire évoluer l’organisation. C’est donc en les faisant partager leurs connaissances et leur savoir que l’entreprise s’enrichira.
Ce « regain de pouvoir de l’opérationnel » passe bien évidemment par le « savoir faire-faire » : faire participer les équipes aux projets, en insistant sur l’importance de la bonne compréhension des enjeux des chantiers et en les responsabilisant dans leur accomplissement.
Prenons pour exemples certains outils ou méthodes utilisés dans une démarche Lean :
- La création d’équipes responsabilisées, ou d’îlots autonomes de production. Par essence basée sur la responsabilisation et la « montée en autonomie » des opérationnels, on leur délègue les problématiques de gestion du quotidien par l’intermédiaire du responsable d’îlot.
- Les chantiers 5S ou SMED. Ils ont pour vocation de permettre aux équipes de s’approprier et de participer à l’amélioration de leur environnement de travail, ou de leur façon d’organiser les pointages ou changements de séries. Cette sollicitation leur insuffle pro-activité et motivation.
Ainsi, et bon nombre d’autres outils pourraient en témoigner, l’implication nécessaire des Hommes n’est rendue possible que par la participation active et en profondeur de la mise en place de ces chantiers, et plus largement, des projets Lean.
Les facteurs clés de succès
Les facteurs clés de succès nécessaires à la réussite d’un chantier Lean :
- Garantir l’implication forte de la direction.
Bien qu’un projet Lean se doive d’être participatif et non pas directif, il faut malgré tout que la direction s’implique et communique régulièrement et « sérieusement » autour de sa détermination et volonté de voir le projet réussir. La publication d’articles en interne, la participation régulière à des réunions de projets, une visite sur le site concerné pour échanger avec le terrain ; tels sont des moyens pour la direction de témoigner de sa réelle implication et du crédit accordé au projet. - L’exemplarité, la rigueur, la constance.
De la part de l’équipe projet et de la direction. Autant de facteurs de succès nécessaires pour le succès d’un projet Lean. Une démarche Lean est censée servir de vitrine aux clients, tant internes qu’externes. - L’Homme comme « matière première » et ressource indispensable
Afin de concrétiser et de fédérer les équipes autour du projet, il semble évident de devoir former, impliquer et motiver les Hommes comme il se doit. Il faut également avoir conscience que chaque individu réagissant différemment face au changement, certaines personnes peuvent adopter une posture « négative » potentiellement nuisible. Il faut donc être prêt à pouvoir gérer ce genre de situation. - La structure de management.
La gestion d’un projet Lean implique une organisation toute particulière. La clé du succès est de considérer l’agent de maitrise comme le vrai moteur des actions de progrès mises en place (d’où l’importance du recrutement !), tout en limitant la taille des équipes à 15 personnes maximum managées en direct dans l’ilot ou en équipe autonome de production.
De plus, il s’agit de définir des indicateurs terrain suivis au quotidien, et que ces indicateurs soient appropriés et partagés par l’ilot pour ne pas être sujet à remise en question. Enfin, les équipes doivent être formées aux outils de progrès et aux enjeux d’une démarche d’amélioration continue telle que le Lean afin de déclencher des automatismes « maîtrisés » par tous.
PY Le Bourthe